« Un point c’est tout », c’est un peu la marque de fabrique de l’autoritarisme, une affirmation, parfois justifiée par les circonstances, qui affirme sans appel une exigence incontestable. Les élèves sont peut-être familiers de cette phrase, rencontrée ici ou là dans leur vie de tous les jours.
En tout cas cette phrase comporte, d’une part, le mot « point », qui est en définitive un signe graphique, le plus élémentaire ; et d’autre part le mot « tout », qui parle de totalité, celle de notre monde, individuel ou collectif.
Aussi ce sujet est présenté aux élèves comme un double défi synthétisant deux extrêmes :
a) Ils doivent dessiner ou peindre un point : à partir de quand un point n’en est plus un mais devient une surface ? Quelle(s) forme(s) peut avoir un point ?
b) Mais également ils doivent y mettre « tout ». Et qu’entent-on par « tout » ? Et comment, en un point, résumer « tout » ?
On se trouve là placé au cœur de l’utopie même de l’art, qui, à la différence de la science ou d’une enquête de police scientifique par exemple, n’a pas vocation à être exhaustif, d’énumérer un catalogue ou un registre d’éléments nommés et repérés. L’art triche, ment, fait des raccourcis ou des détours, il synthétise ; mais il le fait pour dire le vrai, le juste plutôt que l’exact. Il fait l’économie de tout énumérer, ce qui est impossible et ne serait même pas recevable par le public humain dans son temps d’existence limité, pour transfigurer la restitution du réel en une économie du vrai qui donne à penser.
Et c’est ce qui est frappant dans les travaux d’élèves obtenus : ils montrent, parfois à leur insu (et il faut alors leur expliquer ce que leur travail comporte de qualité, ce qui leur apprend quelque chose et leur fait en général plaisir), l’émergence d’une pensée. Ils disent par les formes ce que l’on ne peut ou ne sait en général pas dire. Cette frustration ressentie envers l’ncapacité de dire des choses grandes, profondes, intimes ou subtiles, à peine saisissables, l’expression par le dessin et la peinture permet de la dépasser, de la court-circuiter, par des fulgurances.
J’ai évalué des travaux pour leurs qualités plastiques ou conceptuelles, pour une sensualité dans l’image, un cadrage ou une mise en page, le fait qu’il soit fait seul en plusieurs essais ou éventuellement à plusieurs mais avec pertinence.
« Un point c’est tout », cette phrase apparaît ici alors pour davantage qu’un simple jeu de mots, mais ouvre à des signes initiaux, archétypaux, des formes primordiales, celles du commencement du monde, de l’appartenance à une vie ou un voisinage quotidien (« mon tout à moi »), d’une pure géométrie poussée, par sa sensibilité, au delà de sa propre rigueur, de points géodésiques ou cosmiques, organiques, le point du commencement du tout des possibles de la vie, le point de l’éternel recommencement, le point de l’harmonie musicale, le point de focale et de la rétine, de la séparation entre l’intérieur et l’extérieur, de la vision du monde, bref, d’une éternelle possibilité de recommencement de la question sous différentes formes, que chacun trouve au contact des autres dans la vie ou en classe et au sein de sa propre subjectivité irremplaçable.