Si les arts plastiques, comme discipline, ont à affronter parfois un double mouvement d’attrait et de répulsion, de sympathie et de suspicion, c’est parce qu’ils constituent bien un lieu de réflexion sur la représentation et donc sur le pouvoir et le contre pouvoir. Un exercice aussi bénin que la création d’un emblème représentant chaque classe pour un événement sportif de fin d’année, en partenariat avec l’Éducation Physique et Sportive du collège, révèle que rien n’est anodin dans les formes, les couleurs, les références, les signes et les symboles. Les élèves ont eu à travailler une fois encore par équipes de quatre ou cinq élèves, déterminées par le tirage au sort, dans un souci de relative neutralité.
Cette expérience a permis de situer le projet dans l’histoire des emblèmes, du blason médiéval au logo de marque ou d’institution. Elle a conduit les élèves à combiner une recherche personnelle à un partage avec l’équipe, puis à faire des choix, c’est-à-dire à renoncer à certaines propositions et à une relation possessive à son propre « objet » pour viser une qualité optimale développée en groupe. Puis elle a permis d’aboutir jusqu’à la forme la plus ultime possible, le projet d’emblème par équipe. Enfin, il a été procédé à un vote pour élire le projet lauréat.
Toute cette démarche vise à sortir l’élève d’une habitude acquise à l’enfance et qui n’est pas mauvaise en soi, consistant à se satisfaire d’un dessin sans réflexion ni esprit critique, sans recherche ni ambition d’amélioration, dessin que l’enfant montre à ses parents à peine produit pour demander reconnaissance. Le travail était jaugé sur le double plan de la raison (poser les points justifiant tel ou tel aspect, défendre une idée par des arguments, convaincre, reconnaître les arguments de l’autre), comme sur le plan de l’émotion (susciter l’adhésion et le désir par la qualité instantanée de l’impact visuel sur la personne qui regarde).
Il s’est agit ici une fois de plus d’entrer dans un processus de recherche en développement, par lequel c’est autant par les expériences rencontrées, les étapes franchies et les obstacles dépassés que par le résultat final lui-même que se mesure l’avancée de l’élève au sein d’un travail en équipe, que s’évalue la qualité d’une réalisation. Il était demandé que l’emblème réunisse les exigences de visibilité, de simplicité, de reproductibilité, qu’il représente bien la spécificité de la classe, en apportant une valorisation, et en évitant tout malentendu ou confusion avec un autre référent.
Les recherches ont porté par exemple sur des signes corporels universels tels que la main ou la bouche, ou sur des objets symboliques comme les dés, les ailes, l’arc en ciel, ou sur des jeux de lettrage à partir par exemple des chiffres caractérisant le numéro de la classe (5°4, ou 4°4, etc.). Ce qui était en jeu était de passer d’une bonne idée, un bon concept, qui opère effectivement sur les imaginaires, et qui représente justement l’identité spécifique de chaque classe, à un travail en finesse sur la forme visuelle donnée à la composition de l’emblème, par le dessin, le choix des couleurs, la mise en page,… On a pu ainsi comparer à l’infime détail près, des travaux exécutés en fin de recherche exactement sur la même idée commune.
La transparence pouvait suggérer la lumière, l’harmonie dans un groupe, ou bien la richesse de la rencontre et de la collaboration de différentes identités ; l’évocation de phénomènes technologiques comme le Wifi pouvait être détournée pour signifier une communication interne au sein du groupe classe, l’évocation des latinistes par des chiffres romains pouvait se combiner à d’autres signes amenant une ouverture sur une époque actuelle ou sur la vie, la parole échangée.
Il est à noter qu’en fin d’année, après tout ce travail par petits groupe permettant de décomplexer certains élèves en difficulté scolaire et comportementale et qui relevait d’une simple initiation à des questions de communication visuelle, une meilleure solidarité s’est sentie entre élèves, avec la satisfaction de voir des classes réputées agitées, produire, au moins aussi bien que d’autres classes, un travail complet et approfondi, d’un niveau tout à fait remarquable au plan individuel et collectif.