Les élèves ont préparé la sortie, entre autres, en découvrant l’histoire de Paul Schaffer dont le livre est publié intégralement sur Internet. Ils ont ainsi pu repérer les dates clés de sa vie depuis sa naissance à Vienne en 1924 à sa libération en 1945.
Après la nuit de cristal (1938) et après avoir fui son pays natal avec sa famille, Paul Schaffer s’est réfugié dans un petit village proche de Toulouse. C’est là qu’il a été arrêté en 1942. Interné au camp de Noé, déporté à Drancy puis transporté vers l’Est en wagon à bestiaux avec sa mère et sa soeur, Paul Schaffer a survécu jusqu’à la fin de la guerre en transitant par 3 camps satellites d’Auschwitz et à Birkenau.
Au mémorial, les élèves de 3ème 3 et de 3ème 4 ont pu lui poser de nombreuses questions :
·Jimmy : Avez vous encore votre tatouage d’Auschwitz ?
« Oui, bien sûr. Mais le plus terrible avec ce tatouage, c’est qu’il fallait le dire en allemand. Mon tatouage, par exemple, qui a l’air facile à dire avec tous ses numéros semblables, 160 610, se dit en allemand : « hundertsechzigtausendsechshundertzehn ». Quand les détenus n’y arrivaient pas, ils recevaient des claques, des coups de poing, des coups de pieds. »
·Sonny : avez vous déjà assisté à une exécution ?« Non, je n’ai pas non plus cherché à y assister. Pourtant, il y avait des pendaisons. Mais les détenus fuyaient ces exécutions s’ils le pouvaient. »
·Nama : avez vous des nouvelles de celui avec qui vous vous êtes évadés du train, au moment des « marches de la mort » ?
« Oui, nous sommes restés en contact. Mais lui a choisi de partir s’installer en Israël. »
·Clément : lors de votre détention, avez vous eu envie de mettre fin à vos jours ? (les suicides étaient fréquents dans les camps)
« Non. J’ai un esprit plutôt combatif. Je me répétais que mon peuple était persécuté, une fois de plus. Je devais donc me battre pour survivre. Je n’ai jamais abandonné.
Cela me rappelle les inscriptions que j’ai lu sur un mur à Drancy. L’une disait : quand il n’y a plus rien à espérer, c’est là qu’il ne faut pas désespérer ». C’est devenu ma règle de vie durant ma déportation. »
·élève de 3è3 : Comment avez vous organisé votre survie lors de votre évasion avec votre camarade ?
« On inventait à chaque seconde. On devait trouver notre chemin de nuit et sans boussole, dans la neige. On était épuisé. Nous sommes littéralement tombés de fatigue et nous avons dormi profondément. Nous avons failli mourir. Au matin, la couverture que nous avions placé sur le sol était complètement colée par le gel. On a bu de la neige. Nous avions un morceau de pain. Je me sentais comme transparent, anesthésié par le froid. Au bon de deux jours, nous avons croisé une femme qui traversait la route seule. Nous lui avons demandé de l’aide. Elle nous a apporté une boisson chaude et une tartine au saindoux. »
·Loup : dans quel camp avez vous eu le plus de mal à vivre ?
« A Birkenau. C’était inimaginable. Les hommes étaient dans un état de dénuement total, au delà de la peur, car ils savaient qu’ils allaient mourir. On y était coupé du monde, dans un autre monde d’où on ne pouvait pas revenir. C’était un camp d’extermination. Les Français résistants, déportés en camp de concentration ont été 50% à rentrer. Les Juifs déportés n’ont été que 3% à rentrer. »
Le guide du Mémorial, M. J-O. David, nous a expliqué que Birkenau était grand comme 350 terrains de foot…
·élève de 3è3 : y avait-il des tensions entre les prisonniers ?
« Oui, il y en avait entre les différentes catégories de prisonniers : déportés « raciaux », déportés politiques, déportés venant de l’ouest ou de l’est… On se regroupait par communauté. »
·élève de 3è3 : y avait-il de la solidarité dans les camps ?
« oui, mais une solidarité par communauté de langue ».
·Nama : quand vous voyez des jeunes comme nous, ça ne vous fait pas mal ?
« Non, au contraire ! Cela me donne de l’espoir ! »
·Mme Siourakan, principale adjointe : A quoi vous raccrochiez vous pour rester Homme ?
« J’étais jeune. Les jeunes ont envie de vivre. C’est l’instinct de survie qui donne de la force. Certains se sont laissés aller. Nous étions plus résistants que les personnes plus âgées qui avaient un était moral abominable quand leur famille avait disparu (leur femme, leurs enfants…). »
·Jimmy : qu’est-ce qui a été le plus dur pendant la déportation ?
« Il y a plusieurs choses :
La séparation avec mon père après notre arrestation près de Toulouse et son hospitalisation. C’est dur de voir son père pleurer.
La séparation avec ma mère et ma sœur lorsque j’ai sauté du train, avec 200 autres déportés, en pleine campagne sur le trajet vers Auschwitz. Ma mère m’a inondée de larmes. J’ai du m’arracher à elle.
La « fin de monde » à Birkenau. Cela dépassait l’imaginable.
Quand je me suis évadé lors des marches de la mort. J’avais 19 ans. C’était la première fois que j’étais seul, livré à moi-même. J’ai même pensé un moment courir après le train pour le rattraper.
Au retour aussi, quand j’ai appris que mon père était mort en 1943. Et l’incompréhension des gens que j’ai rencontré était difficile à supporter. »
·Clément : comment avez vous fait pour reprendre votre vie après la guerre ?
« J’ai été à l’école et j’ai appris le français. Je suis devenu professeur dans une école professionnelle. »
·Kamel : avez vous de la haine envers les Allemands ?
« La haine ne fait pas partie de la culture juive. Celui qui hait est le bourreau. Il faudrait extirper ce mot du vocabulaire ! «
·élève de 3è3 : comment avez vous survécu dans les camps ?
« Je me débrouillais pour avoir des rations supplémentaires. En 1944, j’ai été travaillé dans une usine. J’ai eu plus de nourriture. Mais je ne connais pas le poids que je faisais à la libération. »
·Sonny : par quels critères avez vous été choisi pour aller travailler dans l’usine Siemens ?
« J’ai vite appris qu’il y avait peu de chances de survie à Birkenau. Je me suis donc présenté pour le recrutement d’ouvriers métallurgistes. Un officier allemand m’a interrogé. J’ai dit que j’étais tourneur. Mais je n’y connaissais rien. L’officier me posait des questions auxquelles je devais répondre par oui ou non. Je me trompais à chaque fois. Alors l’officier m’a dit quelques chose qui fait un jeu de mot en allemand : « vous être un bon tourneur ». En allemand, cela veut aussi dire : « vous êtes un débrouillard ». Et il m’a choisi. En tout 50 personnes ont été choisies pour aller travailler à l’usine. Nous n’étions plus que 25 quand l’usine a été terminée de construire. Mais j’ai eu peur quand j’ai vu les machines arriver à l’usine. J’ai pu choisir la machine sur laquelle j’allais travailler : j’ai choisi le tour le plus petit. En fait c’était le travail le plus difficile ! J’ai appris le métier en travaillant.
Après la guerre, j’ai rencontré à nouveau cet officier lors d’un procès. Il se souvenait de m’avoir choisi. Alors je lui ai demandé pourquoi ? J’espérais qu’il me dise qu’il avait voulu m’aider, me sauver, … En fait il m’a dit qu’il pensait pouvoir faire de moi un bon tourneur… Et c’est ce que je suis devenu. »
·Mme Bossavy, animatrice de l’atelier d’écriture : êtes vous retourné à Vienne ?
« Oui, j’avais la nostalgie des gâteaux de Vienne ! »
·Kamel : y avait-il des nazis dans les camps qui étaient contre l’extermination des juifs ?
« Je n’en ai pas rencontré. Certains gardiens étaient moins méchants que d’autres. A peine 10% des bourreaux ont été condamnés. »
·élève de 3è3 : comment les SS organisaient-ils les « marches de la mort » ?
« Ce n’était pas organisé. Nous marchions sans arrêt. »
·Jérémie : une dame de la cantine vous a aidé. L’avez vous revue ?
« Pendant 6 mois, cette jeune fille n’a pas raté un seul jour sans me donner une assiette bien remplie. C’était durant le premier hiver. En tout, j’ai passé trois hivers dans les camps. Je ne l’ai jamais revue car j’ai été transféré d’un camp à l’autre. Nous étions comme un troupeau de bêtes. »
·Salim : y avait-il des évasions d’Auschwitz ?
« Cela a du être très rare. Le camp était entouré de barbelés électrifiés et il n’y avait rien autour. Je n’ai eu à aucun moment la possibilité de m’évader. »
·Mme Sahagian, documentaliste : quand avez vous commencé à témoigner ?
« j’ai commencé à témoigner à partir du moment où il y a eu des négationnistes, c’est à dire des personnes qui disaient que la Shoah n’avait jamais eu lieu. »
·Johan : votre déportation a-t-elle changé votre vision de la vie ?
« oui, cette expérience marque en profondeur. Je me sens comme un invalide de l’âme. Cela m’a marqué et cela a marqué mes enfants. »
·Sonny : au jugement des nazis, avez vous été satisfait ?
« Non, les condamnations n’étaient pas à la hauteur des crimes. Les criminels de guerre condamnés ont été très peu nombreux. »
·Mme Siourakan, principale adjointe : avez vous été livré à vous même à votre retour ? Comment la société français a-t-elle évolué sur cette question de la déportation ?
« Il y avait des structures d’accueil. Mais je n’en ai pas bénéficié. Je suis revenu dans le petit village d’où j’étais parti et je n’avais aucun contact avec les organisations. Deux mois plus tard, à Toulouse, je n’ai pas pensé que je pouvais obtenir de l’aide. J’ai seulement eu une bourse pour mes études.
Les résistants ont eu un accueil de héros. Mais il y avait une méfiance de la part de la société française vis à vis des déportés, et puis beaucoup d’incrédulité. Quand j’ai dit au village ma ration de nourriture, une femme m’a répondu : « et alors ? on n’avait de la viande que deux fois par semaine ! ». En fait, il y avait une incompréhension totale sur ce qu’était la déportation. Mais cela a beaucoup changé. »
Un grand merci à M. Schaffer pour sa gentillesse et sa disponibilité. Merci aussi aux élèves d’avoir si bien participé.