Dessins de noyaux

samedi 18 septembre 2021 , par Joël Auxenfans

En premier travail de l’année scolaire, les élèves ont eu à dessiner de simples noyaux de pêches ou d’abricots, collectés, lavés et séchés au cours de l’été et dont un certain nombre ont été apportés par les élèves. À priori, des noyaux semblent le comble même de l’absence de valeur, de ce qui ne retient pas l’attention, de ce qui n’est pas de l’ordre de l’artistique, ...

Or ces noyaux sont d’abord source de vie, à l’infini, il proviennent du cycle de la reproduction de la vie depuis des dizaines de milliers d’années, et pour des milliers d’années (c’est selon ce que nous faisons en ce moment de la terre et du climat), ils prolongent leur incroyable loterie génétique dans le futur. Chaque noyau est unique, chaque élève est unique.

En lien avec ces noyaux, les élèves ont pu découvrir, par un court documentaire https://www.youtube.com/watch?v=IsotsR2cdyc, la biologiste américaine Rachel Carson et son rôle de pionnière, à travers son livre « Printemps silencieux » pour révéler la dangerosité des pesticides pour la vie humaine et terrestre.

Pour prolonger le jardin du collège, il faut des noyaux, qui seront semés en pépinière, et plus tard, de petits arbres fruitiers, issus de noyaux apportés par les élèves, seront redistribués dans le territoire autour du collège, dans des jardins privés, dans des résidences, dans les espaces publics de la ville de Châtillon et des environs...

Un peu comme les élèves vivent au collège 4 ans pour y apprendre des choses et grandir, la pépinière du jardin du collège permettra à de petits arbres et arbustes à fruits de grandir pour ensuite retrouver une place ici ou ailleurs...
À partir de ce point de définition du cadre conceptuel du travail des élèves, dessiner des noyaux n’a plus le même sens. Ce n’est plus une banale étude documentaire dont le sujet serait indifférent. C’est au contraire un (minuscule) manifeste en faveur de la vie et de la diversité, de la sensibilité, de la fixation de carbone...

Il a été lu aux élèves ce bref passage tiré des "Misérables" de Victor Hugo, à propos d’un homme bon, généreux, sensible, attentionné, modeste :
« Tantôt il bêchait sa terre dans son jardin, tantôt il lisait et écrivait. Il n’avait qu’un mot pour ces deux sortes de travail ; il appelait cela jardiner. « L’esprit est un jardin », disait-il. » (Victor Hugo "Les Misérables" Livre de Poche 1972 p. 20).
Il y a clairement dans cet extrait une analogie entre penser, se cultiver, et prendre soin du jardin terrestre, faire fructifier le vivant de manière harmonieuse, prudente et respectueuse. On pourrait ajouter qu’il y a une analogie entre enseigner et jardiner : ne s’agit-il pas de porter une attention à la fois aux besoins de croissance et de bien-être de petites personnes uniques, et de veiller à l’harmonie et au bon et beau développement d’un ensemble ayant une vie collective, faisant société, ce qu’en jardin on appelle écosystème ou permaculture ?

La découverte par les élèves d’une école collège Montessori située en pleine campagne aux environ de Göteborg en Suède https://www.montessoricentreforworkandstudy.se/en/gallery/
https://www.montessoricentreforworkandstudy.se/en/, leur a permis de mesurer que l’on peut enseigner et apprendre sans doute plus harmonieusement en le faisant au sein d’une culture du vivant.
Cette citation en anglais de Maria Montessori est éclairante : "Education should therefore include the two forms of work, manual and intellectual, for the same person, and thus make it understood by practical experience that these two kinds complete each other and are equally essential to a civilized existence."
 Maria Montessori, From Childhood to Adolescence.

Porter à manger aux animaux, construire un abri en bois, planter, récolter, cultiver, cuisiner, bouger le matin pour mieux étudier de manière théorique l’après midi est indispensable à la construction d’une personne équilibrée, autonome, sensibilisée au monde terrestre aussi bien qu’aux enjeux de son temps, en particulier l’urgence de vivre (plus ?) heureux autrement, urgence de ralentir pour tenter de sauver la terre du réchauffement climatique.

Voilà pourquoi les noyaux, simples graines, deviennent dans ce contexte des arts plastiques, un espace de pensée du monde et du sens, replaçant la question de la modernité dans son indispensable travail de questionnement et de ré interprétation.

Les dessins ci-dessous, noyaux agrandis la première fois d’environ 5 X, puis la semaine suivante, 10 X, sont traités au crayon à papier, sans estomper (pour ne pas amollir le trait), en ne jouant que sur les ombres et les lumières, les aspérités de surface de ces petits objets ligneux contenant la graine de la poursuite du cycle vivant... Les élèves ont appris les deux types d’ombres en dessin : ombres propres (celles propres à l’objet en fonction des lumières alentour), et ombres portées (celles que l’objet projette sur une surface (mur ou table, etc.).

Une rencontre attentive avec sa propre perception, avec le vivant, avec l’insolite dans le banal discret, également avec la faculté d’observation, de concentration, qui n’est pas totalement acquise pour beaucoup de personnes, adultes compris, dans ce monde pressé. Le dessin comme ouverture à son propre corps, comme acquisition d’une autonomie du regard, d’une résistance à l’automation des comportements, de reprise pied dans l’instant, et sur notre terre à l’heure de ces " applis " et ces modes de vie ultra numérisés, conformistes, consuméristes.

Un travail d’élèves en collège qui rejoint les études documentaires naturalistes de la Renaissance (De Vinci, Dürer) en même temps que celles de dessinateurs contemporains (Gérard Titus Carmel https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/personne/c5pp574) ; de belles découvertes et d’intéressantes réalisations à cet âge.

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